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J’aime le black metal

Publié le 6 mars 2025 | Durée de lecture : 8 minutes

Catégorie(s) : Réflexions
Blut Aus Nord - Chorea Macchabaeorum (2017)
Olivier Jung

par Olivier Jung

J’aime le black metal. Son atmosphère, sa radicalité artistique, sa quête d’absolu. Mais il faut aussi reconnaître que ce genre, plus que tout autre, a été marqué par des dérives idéologiques profondes. Mon opposition aux néo-nazis et à leurs idées nauséabondes ne m’a apporté que des ennuis : hostilité, isolement, menaces, éloignement de certain·e·s ami·e·s. Pourtant, je ne suis pas un militant antifasciste au sens politique du terme et je rejette tout extrémisme, qu’il soit de droite ou de gauche. Ce que je défends avant tout, c’est une musique libre, affranchie des dogmes et de la haine.

Le National Socialist Black Metal (NSBM)

Une propagande sous couvert d’art

Le National Socialist Black Metal (NSBM) est une dérive du black metal apparue dès les années 1990, en partie héritée de la scène norvégienne, avant de se propager en Europe de l’Est et en Amérique du Nord[1]. Il ne s’agit pas simplement d’une provocation nihiliste ou d’un goût pour les thématiques sombres : ces groupes adhèrent véritablement à une idéologie raciste, nationaliste et suprémaciste.

Certains groupes emblématiques de cette mouvance diffusent leurs idées à travers des paroles explicites, des visuels inspirés du IIIᵉ Reich et des références occultes mêlées à un discours identitaire. Parmi eux, on retrouve Absurd (Allemagne)[2], dont les membres ont été impliqués dans un meurtre à motivation idéologique, Der Stürmer (Grèce)[3], qui fait ouvertement l’apologie du nazisme dans ses paroles et visuels, Goatmoon (Finlande)[4], qui affiche des références suprémacistes blanches et nationalistes, M8L8TH (Russie)[5], qui entretient des liens avec des groupes ultranationalistes et paramilitaires, et Graveland (Pologne)[6], dont le leader Rob Darken a multiplié les déclarations néo-nazies et antisémites.

Ces groupes trouvent un écho dans des festivals underground, des labels complaisants et des réseaux de distribution discrets, qui permettent à leur propagande de s’étendre sous prétexte de liberté d’expression artistique. Des festivals comme Asgardsrei[7] en Ukraine sont devenus de véritables rassemblements pour la scène NSBM internationale, réunissant des figures du black metal et des militants d’extrême droite dans une atmosphère où la musique n’est qu’un prétexte à la diffusion d’idéologies radicales.

La scène francophone touchée

Depuis les années 1990, le NSBM a infiltré la scène black metal francophone, transformant certaines formations en vecteurs de propagande haineuse. Certains groupes assument ouvertement leurs positions idéologiques, tandis que d’autres adoptent un apolitisme de façade pour brouiller les pistes et éviter les polémiques. Parmi les groupes les plus explicitement nationalistes, racistes ou liés à l’extrême droite, on retrouve Peste Noire (Kommando Peste Noire – KPN), dont le leader Famine[8] affiche sans ambiguïté son engagement nationaliste, xénophobe et antisémites à travers ses paroles et visuels, notamment en utilisant l’imagerie du Troisième Reich. Le groupe Régiment[9], issu de la scène française, est également connu pour ses liens directs avec l’extrême droite, propageant une idéologie raciste et nationaliste à travers des titres et des visuels revendiqués. Ad Hominem, bien que certains de ses membres tentent de dissimuler ses liens idéologiques, est un groupe qui se définit comme ayant une vision ultranationaliste et qui diffuse des messages haineux et violents. Kristallnacht[10] (le nom même du groupe fait référence à la Nuit de Cristal, un événement antisémite emblématique) est un groupe ouvertement néonazi, avec des paroles qui glorifient le nationalisme blanc et l’antisémitisme. Baise ma Hache se distingue par son attitude provocante et ses liens avec des idéologies extrêmes, flirtant avec le fascisme et l’intolérance. Légion Mortifère, autre groupe français, affiche également une position idéologique nationaliste et radicale à travers des références à l’extrême droite et une esthétique provocatrice. Aryan Art est un autre groupe français, qui joue sur l’imagerie de la suprématie blanche, avec des textes véhiculant des idées racistes et antisémites. Forteresse[11], originaire du Québec, est un groupe ouvertement nationaliste, prônant une idéologie identitaire et en lien avec des mouvements extrémistes. Enfin, Monarque, bien qu’il revendique une esthétique black metal très sombre et occulte, a également des liens idéologiques avec la scène néonazie, notamment avec des textes nationalistes et des références à la pureté raciale.

Tous ces groupes ont non seulement un discours ouvertement politique, mais ils utilisent aussi l’imagerie et les paroles pour diffuser leurs idées. Ils se retrouvent souvent sur des labels ou lors de festivals, créant ainsi un réseau de soutien à ces idéologies toxiques dans une scène qui, paradoxalement, se veut subversive et anti-establishment.

Le rôle des labels et festivals : entre complicité et complaisance

L’influence du NSBM ne se limite pas aux groupes eux-mêmes. Plusieurs labels et festivals ont participé, volontairement ou non, à sa diffusion. Il est essentiel que les festivals et organisateurs cessent d’inviter ces groupes et que les exposants distribuant du NSBM soient interdits dans les marchés. En parlant ouvertement du problème et en prenant une position claire, les responsables de ces événements pourraient amorcer un véritable changement dans la scène.

Le label québécois Sepulchral Productions a été largement critiqué par les associations antifascistes pour la distribution de groupes néo-fascistes comme comme Graveland. Son festival La Messe des Morts a également été dénoncé pour sa programmation problématique. Officiellement, le label se défend en invoquant la liberté d’expression, mais ses choix de distribution et d’affiliation sont révélateurs.

Le label français Antiq Records a également été pointé du doigt pour sa proximité avec la scène NSBM. Il distribue des groupes comme Graveland et Régiment. Les critiques viennent notamment des médias antifascistes, qui soulignent que personne ne signe ces groupes par hasard. Leur présence dans le catalogue d’Antiq Records ne peut être expliquée que par une complaisance assumée ou un opportunisme financier.

Neige : un passé trop facilement effacé ?

Stéphane Paut, alias Neige, est aujourd’hui reconnu comme une figure du post-black metal grâce à Alcest. Pourtant, ses débuts sont entachés par une proximité évidente avec la scène NSBM.

Il a notamment participé à Peste Noire entre 2001 et 2005, aux côtés de Ludovic Faure, alias Famine, alias La Sale Famine de Valfunde, leader du groupe et personnage central du black metal nationaliste français. Durant cette période, il a également été impliqué dans la démo Aryan Supremacy[12], dont le titre est explicite, avec des morceaux comme Les Camps de la Mort.

Neige a depuis pris ses distances et parle d’erreur de jeunesse. Mais peut-on réellement balayer un passé aussi lourd avec un simple mea culpa ? Son groupe Alcest est aujourd’hui célébré dans des festivals sans que son histoire ne soit jamais questionnée. Faut-il vraiment absoudre aussi facilement quelqu’un qui a participé, même brièvement, à la propagation de ces idées ? Un simple droit à l’erreur ne suffit pas. Pour prouver qu’il a changé, il aurait besoin de gestes tangibles, comme des excuses publiques et une condamnation claire de son passé.

Famine et Peste Noire : la propagande sans masque

Contrairement à Neige, Famine n’a jamais tenté de masquer ses convictions. Depuis la création de Peste Noire en 2000, il en a fait une tribune pour ses idées nationalistes, racistes et antisémites. Des interviews aux paroles de ses chansons, en passant par des visuels explicites où il apparaît en uniforme du Troisième Reich ou effectuant des saluts nazis, tout dans son parcours témoigne d’une adhésion assumée à l’extrême droite.

Pendant un temps, le groupe a également utilisé le nom Kommando Peste Noire (KPN), renforçant encore davantage son imagerie guerrière et son positionnement radical. Famine a aussi entretenu des liens avec des milieux nationalistes en Ukraine, participant à des rassemblements avec des membres du régiment Azov[13] et d’autres groupuscules xénophobes. En 2021, il a été jugé et condamné[14] pour avoir agressé un homme qu’il pensait être un militant antifasciste.

Malgré tout, Peste Noire bénéficie encore d’une base de fans fidèles, tandis que certains continuent de défendre leur droit à la provocation sous prétexte de liberté artistique.

L’avenir du black metal : entre résignation et résistance

Le black metal a toujours été un terrain propice aux provocations, mais la provocation n’excuse pas tout. Derrière les riffs abrasifs et l’esthétique occulte, certains groupes ont ouvertement relayé des messages de haine, en recyclant les vieilles idées du nationalisme blanc et du suprémacisme racial.

Le NSBM ne relève pas de la simple imagerie sulfureuse propre au black metal : c’est une véritable machine de propagande. Mais il est possible de lutter contre cette dérive sans sombrer dans la censure. En informant les fans, en leur donnant les moyens de faire des choix éclairés, et en mettant en avant des groupes talentueux qui ne sont pas gangrenés par ces affiliations douteuses, la scène pourrait se redresser.

Le black metal est né comme un cri de révolte contre les dogmes établis. Laisser l’extrême droite le récupérer, c’est trahir son essence même. Il est temps de choisir un camp.


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